« Lors d’une conversation avec des amis, nous nous sommes penchés sur les matériaux pédagogiques proposés dans les centres d’art ou autres institutions. Détournant les matériaux en jeux de mot (« la peinture sur soi », « la patte à modeler », etc.), nous nous moquions des enfants de moins de cinq ans et des pratiques « mako-moulage » du mercredi après-midi. Cependant, nous nous sommes aperçus qu’un phénomène stigmatisait de la même façon les artistes d’art contemporain, notamment avec cette fameuse formule tout droit issue d’adultes insatisfaits faisant face aux œuvres contemporaines : « Tout le monde peut en faire autant !… Mon fils de 5 ans fait la même chose !! ». Tout à coup pris dans l’étau de la culpabilité et de l’injustice, je décidai d’ériger un monument à la gloire de l’enfance ; puisque finalement, pour la majorité des gens, les artistes et les enfants semblent avoir un âge mental identique…
Historiquement, nous ne connaissons pas l’inventeur de la pince à linge. D’après Francis Blanche et Pierre Dac, il s’appellerait Jérémie Victor Opdebec. Le système de la pince à linge “classique” fut inventé par D.M. Smith en 1953, et la pince en plastique fut mise au point par Mario Maccaferri en 1944. Ceci dit, ce n’est pas la pince à linge se rapportant au travail de la ménagère qui motive ce projet, mais bien la demi-pince à linge. Ce monument s’inspire directement du dessous de plat en demi-pince à linge, exercice que bon nombre d’enfants réalisèrent durant des ateliers pédagogiques. La reconversion d’un objet « démantelé » est un premier aspect de ce projet. Les demi-pinces sont ornementales, elles n’ont plus d’utilité en tant que pinces à linge bien qu’elles aient encore un usage : lorsqu’elles sont collées, de nombreuses formes peuvent surgir des assemblages, et d’ailleurs des « objets utiles », tel que le dessous de plat.D’un autre coté, si nous agrandissons ce petit objet (30cm x 30cm x 365cm), sa fonction disparaît au profit d’un objet décoratif foncièrement abstrait, objectivement inutile mais pas sans références. Ces demi-sculptures nous font penser à des totems africains comme à des formes de l’Art Minimal. Elles nous engagent à critiquer de façon frontale la sculpture abstraite dont les origines sont le plus souvent purement formelles et sans fondement religieux, historique, ou dans mon cas, “pédago-domestique”. J’aime aussi l’idée que cet objet désuet devienne une demi-sculpture, ceci afin de signaler que je ne suis pas parvenu à fabriquer une sculpture entière ; mais aussi pour proposer de la nouveauté, il semble que personne jusqu’à ce jour ne réalisa une demi-sculpture monumentale !
Enfin, j’espère que nous porterons cette demi-pince à linge à la hauteur d’un monument pour les enfants de moins de 5 ans — tel un hommage à la grandeur de l’inconscient. »
Sammy Engramer, 2010