EXPOSITION
DU 02 FEV. AU 25 MAI 2007

En suspens

École Supérieure d'Arts Appliqués, Nevers

JOHANNA BILLING, LILIAN BOURGEAT, PETER DOWNSBROUGH, ÉRIC DUYCKAERTS, DANIEL FIRMAN, ALEX GYÖRFI, BARBARA & MICHEL LEISGEN, PIERRE-YVES MAGERAND ET ERWIN WURM

« En suspens » est une exposition marquée par la présence de Franck Apertet au sein de l’École Supérieure d’Arts Appliqués de Bourgogne. Son articulation a pour point de départ le travail de performance du chorégraphe, en résidence au Centre d’art pour une création, Les corps morts, issue de la matrice X-Event 2.2 et de son invitation à l’ESAAB pour deux sessions de workshop avec une classe d’étudiants en design de communication et de produit. La présentation d’une sélection d’œuvres du FRAC Bourgogne dans le cadre de cet atelier s’est imposée naturellement. En effet, la Cie des Gens d’Uterpan, dont fait partie Franck Apertet, se produit également au FRAC Bourgogne pour danser La vague, pièce créée au Centre d’art contemporain de Brétigny-sur-Orge en 2005. Très vite, deux notions semblent se dégager avec évidence de ce travail de performance. La dilatation du temps ou son accélération, principes qui induisent une relation singulière au corps et à l’espace. Celle de la tension, de l’endurance, de l’érosion de l ‘esprit au profit du lâcher prise des corps dans la recherche de ce point d’équilibre subtil entre la perception aiguë de soi et de la place des autres au sein d’un espace circonscrit. L’exposition tente ainsi de concilier dans ses choix des œuvres qui interrogent d’une part la suspension du temps dans le mouvement et d’autre part une relation à l’objet manufacturé détourné de sa fonction première avec légèreté et distance par les artistes.

RDFD (1997) d’Éric Duyckaerts a été le premier choix sur lequel reposait l’exposition. Pour sa proximité certes avec l’objet dansé, mais surtout pour ce décalage ironique entre la vidéo et la danse, cette analyse pointue que l’artiste fait, d’une manière générale, des rouages du savoir et de la dérision de ses propres codes de transmission. Dans un même ordre d’idée, « En suspens » révèle un découpage du temps issu du protocole performatif d’Erwin Wurm avec ses One minute sculpture (1998). Quatre temps très courts dans lesquels s’insère un objet manufacturé, un pull vert, manipulé par un corps qui lui donne forme comme une sculpture résultant de quatre propositions performées.

Comme dans d’autres pièces de Daniel Firman qui interrogent le rapport du corps à son environnement immédiat ou à son propre espace vital, Mouvement est une œuvre qui intègre les dimensions du corps de l’artiste. Le résultat est une sculpture énigmatique qui recèle en son cœur l’envergure du mouvement circulaire de ses bras autour d’une performance réalisée en 1998. Cet espace serré au plus près de son corps devient une sculpture monumentale, sorte de cellule-habitacle qui instaure un jeu de va-et-vient entre intérieur et extérieur. Toujours dans le registre sculptural, mais avec un décalage et une légèreté apparents, Lilian Bourgeat induit une relation équivoque à l’objet du quotidien. Porte gigogne (1999) nous montre exactement ce que contient le titre, sorte de tautologie absurde qui invite le spectateur à traverser cette pièce de part en part. Portes fermées, l’œuvre acquiert une tout autre signification. Bloc minimal installé dans un lieu de passage de l’école, elle incite à l’indiscrétion pour vérifier, en fait, qu’elle ne recèle que ce qu’elle est. Alex Györfi dans sa vidéo Beatballs and Flukes (1998) met en place un paysage stéréotypé d’une nature hyper standardisée : le ciel bleu avec nuages en fond de studio, le gazon vert… Le décor est planté et l’artiste invite ses amis à expérimenter en direct son installation. Ce travail qui explore, dans cette pièce en particulier, la société techno et le sport, semble apporter, avec décalage et humour, une vision formatée d’une ambiance sonore hypnotique sur fond d’environnement kitsch.

Un autre film vidéo-projeté depuis la balustrade de l’espace intérieur de l’ESAAB, Where she is at (2001) de Johanna Billing, renforce notre position en équilibre, comme suspendu dans le temps. En effet, le sujet-même de cette vidéo nous implique dans un parcours filmant une scène banale : un paysage qui défile, l’arrivée au bord de l’eau et l’observation attentive d’une jeune femme qui monte sur un plongeoir, hésite, puis saute finalement. L’intérêt de cette œuvre ne réside bien évidemment pas dans cette (fausse) narration, mais plutôt dans cette attente, insupportable pour certains, de la finalité de son hésitation. Un point de rupture qui capte l’équilibre fragile du basculement dans le vide, métaphore de nos propres contradictions.

L’œuvre de Barbara et Michel Leisgen fait figure de liant entre toutes les autres par son rapport au temps si évident dans l’instant photographique, mais qui est revisité ici dans le contexte expérimental de la fin des années soixante-dix. Le temps de l’intégration de la lumière sur la pellicule procède d’une gestuelle participative des artistes et non d’une contemplation, par définition passive, de la nature. L’appareil bouge pour dessiner des lettres, L’alphabet du soleil (1977) apparaît, le mouvement induit la forme dans une très belle écriture, puisqu’incertaine.

Dans le sens du souffle (2006) de Pierre-Yves Magerand répond à un léger frémissement à fleur d’eau, souffle pétrifié et piégé à sa surface. La pièce, sculpture circulaire qui se pose, légèrement décollée du sol, arrête un mouvement. Sa présentation dans un espace clos et obscur avec un éclairage direct qui la théâtralise vise à renforcer la préciosité de l’objet, mais aussi à restituer toute sa place au dérisoire, à l’infime…

The ring (1982-1993) de Peter Downsbrough a trouvé sa place dans la « rue », vaste espace où les lignes de force de l’architecture du bâtiment sont assez présentes (verticalité et monumentalité), lieu de circulation principal pour les étudiants. L’inscription discrète et forte à la fois de l’œuvre trouve un écho à la démarche de l’artiste : le rapport conceptuel à la « matière corps », l’inscription des danseurs dans des espaces toujours délimités, le ring qui implique une tension entre des corps, des individus. Pour reprendre René Denizot, cité dans le catalogue du FRAC, son œuvre « ne répond pas à l’attente de l’art. Elle le laisse en suspens. »[1]

Valérie Pugin
Chargée du programme Hors les Murs
Parc Saint Léger – Centre d’art contemporain

[1] René Denizot, « L’impossible » in Catalogue Peter Downsbrough, Ecole des Beaux-Arts, Quimper, 1995

AUTOUR DE L’EXPOSITION

WORKSHOP
Avec Franck Apertet

Cie des Gens d’Uterpan