EXPOSITION
DU 07 JUIL. AU 01 SEPT. 2013

Triangulation

Alejandro Cesarco

Au Prieuré de La Charité-sur-Loire

Une exposition d’Alejandro Cesarco avec les œuvres de la collection du FRAC Bourgogne :
Luciano Fabro, Gottfried Honegger, On Kawara, Martine Locatelli, Man Ray, Steven Parrino, Adrien Piper, Reiner Ruthenbeck, Niele Toroni, Franz Erhard, Lawrence Weiner

Co-production : Centre culturel de rencontre, Prieuré de La Charité, Cité du mot – FRAC Bourgogne – Parc Saint Léger-Hors les murs.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre des “Pléiades”, manifestation nationale de célébration des 30 ans des FRAC.

Le contexte :
L’invitation faite à Alejandro Cesarco de concevoir une exposition mettant en regard ses œuvres et celles de la collection du FRAC Bourgogne, est le produit d’un partenariat entre le Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain de Pougues-les-Eaux, le Centre culturel de rencontre Le Prieuré de La Charité et le FRAC Bourgogne. Né à Montevideo en 1975 et résidant à New York, Alejandro Cesarco a représenté l’Uruguay lors de la dernière Biennale de Venise et a pris part à la dernière édition de la Biennale de Sao Paulo. Son travail, reprenant les stratégies de l’art conceptuel, s’intéresse à la nar ration et à sa construction, aux pratiques de la lecture et de la traduction, ainsi qu’aux relations entre mots et images. Il interroge les différentes significations des mots et des images selon leur contexte de présentation et de perception, en prenant en considération la subjectivité et la mémoire du spectateur. Utilisant différents médias (éditions, photographies, vidéos et installations), Alejandro Cesarco développe aussi une activité de commissaire d’exposition. Ce sont tous ces aspects de son œuvre, qui ont motivé le choix de cet artiste proposé par le Parc Saint Léger – Hors les murs pour cette première exposition d’art contemporain dans la « Cité du Mot ».

Le projet :
« Triangulation »* retrace le rapport entre le désir et l’écriture, ou de façon plus générale, entre le désir et la création de différentes formes de fiction. L’exposition suggère que le désir entre deux personnes fait souvent intervenir un troisième élément, dans ce cas métaphorisé ou sublimé dans les différentes œuvres d’art présentées.L’ensemble de l’installation laisse entrevoir un cadre intime, dans lequel les spectres d’un passé donné semblent hanter un certain nombre de récits en suspens. La configuration amoureuse est pensée comme une triangulation, souvent présentée sous la forme de deux amants et de la distance qui les sépare (qu’elle soit réelle ou imaginaire). Les questions de perception sont ainsi, à de nombreux égards, de la plus haute importance dans ce contexte. Le fait de maintenir une nécessaire distance entre l’amant et l’être aimé peut aussi signifier que l’amant est en réalité amoureux de l’amour lui-même. Nous en venons également à pressentir que le spectateur et l’amant attendent respectivement de l’acte de voir et de l’acte d’aimer des expériences de même type, qui symbolisent un recours à l’inconnu. (Aristote dit que ce mouvement commence dans l’acte de l’imagination, qu’il appelle phantasia.)La triangulation concerne la figure géométrique formée par la perception que les deux amants ont l’un de l’autre, et les disparités inhérentes à cette perception. « Triangulation » fait intervenir diverses tactiques visant à garder l’espace du désir ouvert et actif, plus particulièrement à travers le discours. Si le désir est toujours une histoire dans laquelle l’amant, l’être aimé et la différence qui les sépare interagissent, l’interaction est quant à elle une fiction élaborée par l’esprit de l’amant.* Ce terme et nombre des idées mises en avant dans les paragraphes suivants doivent beaucoup à « Eros The Bitersweet » d’Anne Carson (Dalkey Archive Press, 1998).Alejandro Cesarco, artiste invité et commissaire de l’exposition.
Alejandro Cesarco
Figure majeure d’une génération d’artiste prenant les stratégies de l’art conceptuel par leurs marges, et fils spirituel de John Baldessari, Alejandro Cesarco (né en 1975 à Montevideo en Uruguay et vivant à New-York) partage avec le conceptualisme une attention constante pour la lecture et pour la relation image-mot. S’intéressant aux structures qui sous-tendent le langage, il en matérialise les traductions, répétitions, incompréhensions et travail de la mémoire. Alejandro Cesarco a représenté l’Uruguay à la Biennale de Venise et a reçu le Baloise Art Prize pour son installation à Art 42 Basel en 2011. Suite à ce prix, le Museum Moderner Kunst à Vienne l’a accueilli pour une exposition solo en septembre 2012. Editeur reconnu, Alejandro Cesarco dirige A.R.T Press, avec la collection très remarquée des « Between Artists ». Il est représenté par les galeries Murray Guy à New York et Tanya Leighton à Berlin. « Triangulation » est sa première exposition d’envergure en France.

Se plonger dans l’univers d’Alejandro Cesarco tend à accepter l’idée de la création artistique comme un subtil mélange entre notre intimité la plus fragile et des références culturelles essentielles, que ce soit en philosophie, en cinéma ou en littérature. L’histoire de l’art se mêle à l’histoire la plus personnelle, tant elle est comprise comme constituante de la sensibilité de chaque individu. Ainsi, Alejandro Cesarco imbrique-t-il la figure de son père et ses lectures avec Index (An Orphan). Et c’est cette même implication qu’il renvoie au spectateur : regarder le film Methodology d’Alejandro Cesarco, c’est se confronter à ses propres représentations de l’amour, qui ne sont autres que celles des romans d’amour ou de philosophie amoureuse préalablement connues. Dis-moi ce que tu lis et je te dirais comment tu aimes. Le pouvoir des mots, et des images qu’ils habitent, se retrouve dans chaque pli et repli de nos vies, qu’il s’agisse des fictions individuelles régissant notre quotidien ou des construits culturels qui nous entourent.

« Je pense que l’expression individuelle purement authentique et première serait une parole hermétique, dans un langage incompréhensible et intransmissible » écrit l’artiste « Notre usage du langage, de tout langage, est toujours déjà médiatisé. »*

Cette interpénétration du sens émotionnel et de nos grilles de lecture tend vers une conception structuraliste du langage. Celui-ci construit notre conception du réel, jusque dans notre inconscient, avec ses vides, ses approximations. Ainsi, si comme le dit justement Martin Herbert*, il y a toujours un écart entre notre façon d’exprimer nos émotions et les représentations qui y sont liées, Alejandro Cesarco semble considérer ce manque comme originaire, constitutif de notre rapport même au réel. Dans Methodology, les amoureux discutent d’une lettre absente, d’un texte dont le spectateur n’a pas lui-même connaissance. Les différents Index, également, se constituent autour de textes présents uniquement dans la mémoire commune de l’artiste et du public, et doivent émerger de cette rencontre, forcément imparfaite et en partie manquée. De même, les Footnote proposent la légende d’un mur blanc, comme un écran accueillant les images que produisent les mots sur l’esprit du regardeur. C’est bien à la capacité de projection du public que fait appel l’artiste. Cette adresse spécifique à celui qui regarde est fondamentale dans cette pratique artistique qui, à l’inverse du cinéma, cherche à parler à chacun distinctement, et non à fédérer un groupe univoque. La relation se fait apparemment à deux, mais invoque les fantômes de l’histoire, personnelle et sociale, comme dans la relation amoureuse, ou encore comme dans l’analyse psychanalytique. Par la voix de l’artiste, une certaine histoire de l’art s’incarne, faisant des artistes du passé non plus des pairs mais bien des pères.

« Je pense que l’art est, suivant plusieurs aspects, une forme de l’histoire de l’art, une manière de favoriser un dialogue avec le passé, une manière de créer des généalogies. »**

On ne sera donc pas étonné de retrouver la figure de Joyce dans les œuvres de l’artiste, et particulièrement A Portrait of The Artist as a Young Man, James Joyce étant celui par qui Jacques Lacan synthétise la nécessité de l’écriture chez l’artiste, d’une langue nouvelle, singulière, structurant d’une manière inédite son propre monde et sa propre histoire.*** On pense également à l’œuvre Where I’m Calling From, retraçant les premières amours artistiques de l’artiste, les balbutiements de sa création. Chez Alejandro Cesarco, l’écriture prend aussi la forme d’éditions ou d’expositions faites en collaboration, laissant une large part au dialogue, mais aussi au silence, afin de mettre l’autre au centre du regard. Se plonger dans l’univers d’Alejandro Cesarco tendrait à rejoindre cette idée que l’art offre une place dans un silence multiple, nous offre d’être cet autre vibrant et habité.

Céline Poulin, chargée de la programmation Hors les murs au Parc Saint Léger

* Alejandro Cesarco, An artist reveals how to be contemporary and come to terms with art’s history, by Martin Herbert, in ArtReview, December 2012.
** La citation est d’ Alejandro Cesarco.
*** « Je pars rencontrer pour la millionième fois la réalité de l’expérience et façonner dans la forge de mon âme la conscience incréée de ma race. » J. Joyce, in Portrait de l’artiste en jeune homme, Œuvres I , Pléiade, p. 780-781

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